Fulcanelli
Des qualités d'un nom initiatique
Introduction Les réflexions qui suivent sont en rapport avec la question du nom de Fulcanelli et des implications que cela pourrait sous-entendre quant à ses activités alchimiques, voire initiatiques et rosicruciennes, quant à la F.C.H et au rôle de Canseliet, et quant aux tentatives de révélation récentes de la pseudo-véritable identité de l’Adepte sous la personnalité d'un scientifique de renom du siècle dernier (Jules Violle, entre autres)… Nous tenons toutefois à nous prononcer en partisans de la révélation du nom profane de Fulcanelli, dans la seule optique d'une meilleure compréhension historique du milieu alchimique du siècle dernier, pratiquement tous les ésotéristes actuels ayant été plus ou moins influencés par les ouvrages de l'Adepte des temps modernes. Il est bien entendu, et cela se révélera à la lecture des lignes qui suivent, que dans un contexte purement initiatique, spirituel, ou alchimique, ce nom profane ne retire rien, tout au contraire, aux réalités intérieures et à la qualité du travail du ou des personnages qui ont participé à l'entreprise Fulcanelli.
Extraits d' “Aperçus sur l’initiation”, de René Guénon (Ed. Traditionnelles, 1996) « Noms profanes et noms initiatiques » Du nom initiatique et de sa raison d’être… p. 184, Ch. XXVII, « […] un nom initiatique n’a pas à être connu dans le monde profane, puisqu’il représente une modalité de l’être qui ne saurait se manifester dans celui-ci, de sorte que sa connaissance tomberait en quelque sorte dans le vide, ne trouvant rien à quoi elle puisse s’appliquer réellement. Inversement, le nom profane représente une modalité que l’être doit dépouiller lorsqu’il rentre dans le domaine initiatique, et qui n’est plus alors pour lui qu’un simple rôle qu’il joue à l’extérieur ; ce nom ne saurait donc valoir dans ce domaine, par rapport auquel ce qu’il exprime est en quelque sorte inexistant. […] Il peut se faire que, par suite d’une dégénérescence de certaines organisations initiatiques, on en arrive à expliquer [le changement de nom] par des motifs extérieurs, par exemple en le présentant comme une simple mesure de prudence, ce qui, en somme, vaut à peu près les interprétations du rituel et du symbolisme dans un sens moral ou politique, et n’empêche nullement qu’il y ait eu toute autre chose à l’origine. »
De la qualité d’Adeptat et du nom de Fulcanelli… p.185 « […] Quand l’être passe aux “grands mystères”, c’est-à-dire à la réalisation d’états supra-individuels, il passe par là même au delà du nom et de la forme, puisque […] ceux-ci sont les expressions respectives de l’essence et de la substance de l’individualité. Un tel être, véritablement, n’a donc plus de nom, puisque c’est là une limitation dont il est désormais libéré ; il pourra, s’il y a lieu, prendre n’importe quel nom pour se manifester dans le domaine individuel, mais ce nom ne l’affectera en aucune façon et il lui sera tout aussi « accidentel » qu’un simple vêtement qu’on peut quitter ou changer à volonté. […] dans ces conditions, qu’y a-t-il encore qui puisse donner prise à la curiosité profane ? Si même celle-ci arrive à découvrir quelques noms, ils n’auront qu’une valeur toute conventionnelle ; et cela peut se produire déjà, bien souvent, pour des organisations d'ordre inférieur à celui-là, dans lesquelles seront employées par exemple des « signatures collectives », représentant, soit ces organisations elles-mêmes dans leur ensemble, soit des fonctions envisagées indépendamment des individualités qui les remplissent. Tout cela, nous le répétons, résulte de la nature même des choses d’ordre initiatique, où les considérations individuelles ne comptent pour rien, et n’a point pour but de dérouter certaines recherches, bien que s’en soit là une conséquence de fait ; mais comment les profanes pourraient-ils y supposer autre chose que des intentions telles qu’eux-mêmes peuvent en avoir ? » « De là vient aussi, dans bien des cas, la difficulté ou même l’impossibilité d’identifier les auteurs d’œuvres ayant un certain caractère initiatique : ou elles sont entièrement anonyme, ou, ce qui revient au même, elles n’ont pour signature qu’une marque symbolique ou un nom conventionnel ; il n’y a pas d’ailleurs aucune raison pour que leurs auteurs aient joué dans le monde profane un rôle apparent quelconque. Quand de telles œuvres portent au contraire le nom d’un individu connu par ailleurs comme ayant vécu effectivement, on n’en est peut-être pas beaucoup plus avancé, car ce n’est pas pour cela qu’on saura exactement à qui ou à quoi l’on a affaire : cet individu peut fort bien n’avoir été qu’un porte-parole, voire un masque ; en pareil cas, son œuvre prétendue pourra impliquer des connaissances qu’il n’aura jamais eues réellement ; il peut n’être qu’un initié d’un degré inférieur, ou même un simple profane qui aura été choisi pour des raisons contingentes quelconques (1), et alors ce n’est évidemment pas l’auteur qui importe, mais uniquement l’organisation qui l’a inspiré. Note 1 :Par exemple, il semble bien qu’il en ait été ainsi, au moins en partie, pour les romans du Saint-Graal ; c’est aussi à une question de ce genre que se rapportent, au fond, toutes les discussions auxquelles ont donné lieu la « personnalité » de Shakespeare, bien que, en fait, ceux qui s’y sont livrés n’aient jamais su porter cette question sur son véritable terrain, de sorte qu’ils n’ont guère fait que l’embrouiller d’une façon à peu près inextricable. »
Du peu d'importance de la révélation du nom de Fulcanelli… p. 186. « Du reste, même dans l’ordre profane, on peut s’étonner de l’importance attribuée de nos jours à l’individualité d’un auteur et à tout ce qui y touche de près ou de loin ; la valeur de l’œuvre dépend-elle en quelque façon de ces choses ? D’un autre côté, il est facile de constater que le souci d’attacher son nom à une œuvre quelconque se rencontre d’autant moins dans une civilisation que celle-ci est plus étroitement reliée aux principes traditionnels, dont, en effet, l’« individualisme » sous toutes ses formes est véritablement la négation même. On peut comprendre sans peine que tout cela se tient […] mais il n’était pas inutile de souligner encore […] le rôle de l’esprit anti-traditionnel, caractéristique de l’époque moderne, comme cause principale de l’incompréhension des réalités initiatiques et de la tendance à les réduire aux points de vue profanes. »
« Le don des langues » De la qualité de véritable Rose-Croix… p. 237, Ch. XXXVII, « Le Rose-Croix, en vertu du degré spirituel qu’il avait atteint [Adepte], n’était plus lié exclusivement à aucune forme définie, non plus qu’aux conditions spéciales d’aucun lieu déterminé [ni d’aucune époque particulière, pourrions-nous ajouter, ce qui se réfère directement au caractère de « longévité », NDW], et c’est pourquoi il était un « Cosmopolite » au vrai sens de ce mot (2). Le même enseignement se rencontre dans l’ésotérisme islamique, [qui] dit que « le vrai sage ne se lie à aucune croyance », parce qu’il est au delà de toutes les croyances particulières, ayant obtenu la connaissance de ce qui est leur principe commun ; mais c’est précisément pour cela qu’il peut, suivant les circonstances, parler le langage propre à chaque croyance. Du rôle de Canseliet… Note 2 : on sait que ce nom de « Cosmopolite » a servi de signature « couverte » à divers personnages qui, s’ils n’étaient pas eux-mêmes de véritables Rose-Croix, semblent bien avoir tout au moins servi de porte-parole à ceux-ci pour la transmission extérieure de certains enseignements, et qui pouvaient par conséquent s’identifier à eux dans une certaine mesure, en tant qu’ils remplissaient cette fonction particulière.
« Rose-Croix et rosicruciens » Des caractéristiques du véritable Rose-Croix… p. 242, Ch. XXXVIII, « […] Le terme de Rose-Croix est proprement […] la désignation d’un degré initiatique effectif, c’est-à-dire d’un certain état spirituel, dont la possession, évidemment, n’est pas liée d’une façon nécessaire au fait d’appartenir à une certaine organisation définie. Ce qu’il représente, c’est ce qu’on peut appeler la perfection de l’état humain, car le symbole même de la Rose-Croix figure, par les deux éléments dont il est composé, la réintégration de l’être au centre de cet état et la pleine expansion de ses possibilités individuelles à partir de ce centre ; il marque donc très exactement la restauration de l’ « état primordial », ou, ce qui revient au même, l’achèvement de l’initiation aux « petits mystères ».
De la qualité du nom de Fulcanelli… « […] la « légende » de Christian Rosenkreutz, dont le nom est d’ailleurs purement symbolique, et en qui il est bien douteux qu’il faille voir un personnage historique, quoi que certains en aient dit, mais qui apparaît plutôt comme la représentation de ce qu’on peut appeler une « entité collective ». »
De l’Adeptat au possible rosicrucianisme de Fulcanelli… p. 243 « Quant à savoir quels furent les vrais Rose-Croix, et à dire avec certitude si tel ou tel personnage fut l’un d’eux, cela apparaîtrait comme tout à fait impossible, par le fait même qu’il s’agit essentiellement d’un état spirituel, donc purement intérieur, dont il serait fort imprudent de vouloir juger d’après des signes extérieurs quelconques. De plus, en raison de la nature de leur rôle, ces Rose-Croix n’ont pu, comme tels, laisser aucune trace visible dans l’histoire profane, de sorte que, même si leurs noms pouvaient être connus, ils n’apprendraient sans doute rien à personne ; à cet égard, nous renverrons d’ailleurs à ce que nous avons déjà dit des changements de noms, et qui explique suffisamment ce qu’il peut en être en réalité. Pour ce qui est des personnages dont les écrits sont connus, notamment comme auteurs de tels ou tels écrits, et qui sont communément désignés comme Rose-Croix, le plus probable est que, dans bien des cas, ils furent influencés ou inspirés plus ou moins directement par les Rose-Croix, auxquels ils servirent en quelque sorte de porte-parole (3), ce que nous exprimerons en disant qu’ils furent seulement des Rosicruciens, qu’ils aient appartenu ou non à quelqu’un des groupements auxquels on peut donner la même dénomination. Par contre, s’il s’est trouvé exceptionnellement et comme accidentellement qu’un véritable Rose-Croix ait joué un rôle dans les événements extérieurs, ce serait en quelque sorte malgré sa qualité plutôt qu’à cause d’elle, et alors les historiens peuvent être fort loin de soupçonner cette qualité, tellement les deux choses appartiennent à des domaines différents. Tout cela, assurément, est peu satisfaisant pour les curieux, mais ils doivent en prendre leur parti ; bien des choses échappent ainsi aux moyens d’investigation de l’histoire profane, qui forcément, par leur nature même, ne permettent de saisir rien de plus que ce qu’on peut appeler le « dehors » des événements. Note 3 : Il est fort douteux qu’un Rose-Croix ait jamais écrit lui-même quoi que ce soit, et, en tout cas, ce ne pourrait être que d’une façon strictement anonyme, sa qualité même lui interdisant de se présenter alors comme un simple individu parlant en son propre nom. »
Ici se terminent nos citations de l'ouvrage de Guénon. Nous rappellerons que Fulcanelli décrit les Véritables Rose-Croix en les mêmes termes dans le "Mystère des Cathédrales". Nous avons insisté aussi sur l'aspect rosicrucien car il apparait que l'ordre de la Golden Dawn déclare que Fulcanelli en aurait été un membre Rose-Croix.
De l’importance des noms à consonance italienne… Le mystère Fulcanelli semble nécessairement passer par la source italienne. En effet, nous ne développerons pas ici pour le moment les références à l’Art de la Mémoire, mais nous dirons brièvement que l’hippocampe, symbole unique de Fulcanelli, est la partie du cerveau liée à la mémoire. Or les auteurs de la renaissance italienne comme Dante, Guilio Camillo, Giordano Bruno (1548-1600), ou Campanella et sa cité du Soleil (à rapprocher du symbole fulcanellien d’Héliopolis), sont des italiens qui ont rédigé des traités sur l’Art de la Mémoire. Il faut savoir que cet Art de la Mémoire est bien mystérieux et dépasse de loin tout ce que l’on peut imaginer de nos jours. Il semblerait que par toutes sortes de techniques de mémoire artificielle (dans le sens d’Art), le philosophe tentait la synthèse, l’unification de l’univers dans sa Mémoire, en apprenant tout sur tout. La mémoire comme chemin initiatique donc. Nous connaissons ainsi par exemple comme archétype du savant universel Léonard de Vinci, pour ne citer que lui… Il est intéressant maintenant, en rapport à la première partie de notre développement sur la Rose-Croix et en rapport à l’Italie initiatique, de citer un extrait du comte Alexandre de Cagliostro (de son vrai nom Joseph Balsamo, 1743-1795, sa personnalité profane important aussi peu que celle de Fulcanelli), qui décrit sa propre personnalité dans son Mémoire contre le Procureur général : « Je ne suis d’aucune époque ni d’aucun lieu ; en dehors du temps et de l’espace, mon être spirituel vit son éternelle existence, et, si je plonge dans ma pensée en remontant le cours des âges, si j’étends mon esprit vers un mode d’existence éloigné de celui que vous percevez, je deviens celui que je désire. Participant consciemment à l’être absolu, je règle mon action selon le milieu qui m’entoure. Mon nom est celui de ma fonction et je le choisis, ainsi que ma fonction, parce que je suis libre ; mon pays est celui où je fixe momentanément mes pas […]. Me voici : je suis noble et voyageur ; je parle, et votre âme frémit en reconnaissant d’anciennes paroles ; une voix, qui est en vous et qui s’était tue depuis bien longtemps, répond à l’appel de la mienne ; j’agis et la paix revient en vos cœurs, la santé dans vos corps, l’espoir et le courage dans vos âmes. Tous les hommes sont mes frères ; tous les pays me sont chers ; je les parcours pour que, partout, l’Esprit puisse descendre et trouver un chemin vers vous. Je ne demande aux rois, dont je respecte la puissance, que l’hospitalité sur leurs terres et, lorsqu’elle m’est accordée, je passe, faisant autour de moi le plus de bien possible ; mais je ne fais que passer. Suis-je un noble voyageur ? » Note : « Noble voyageur » est un qualificatif donné parfois aux adeptes Rose-Croix. |
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Fulcanelli.zip (24 kb) - 20 octobre 2001