Synchronicités, Symbolisme et Signification

 

 

“Symbolisme et signification”, excellent article de Christian FICAT, publié dans la revue Atlantis numéro 400 (hiver 1999-2000), et traitant de manière extraordinaire du problème des synchronicités. Nous en avons extrait ici les meilleurs passages et renvoyons à la revue pour l’article au complet.

 

« Pour les Anciens qui avaient une vision magique du monde, les coïncidences étranges ou surprenantes étaient interprétées comme autant de signes, ou de présages, émanant des Puissances invisibles, qui s’exprimaient encore de multiples façons, dans le rêve, le vol des oiseaux ou la voix des sibylles. Rien – ou presque rien -, n’arrivait par hasard.

Ces phénomènes […] n’étant par nature ni prévisibles, ni reproductibles, échappent au champ habituel de la connaissance scientifique. Ce qui bien entendu ne veut pas dire qu’ils n’existent pas, ou n’aient aucune signification. Le coup de foudre amoureux échappe aussi, en partie pour les mêmes raisons, au champ de la connaissance scientifique, mais il serait difficile de convaincre l’intéressé(e) qu’il n’existe pas ou ne signifie rien, car ce sont les sensibilités et la subjectivité qui donnent son prix à la vie.

Se pourrait-il donc que les coïncidences aient un sens? Et si oui, lequel ? C’est à C.G. Jung, qui en 1951 créa le concept de coïncidences significatives, que l’on doit le regain d’intérêt pour ces phénomènes qu’il tenta d’aborder de façon objective dans un ouvrage intitulé La Synchronicité, principe des connexions acausales, et qui ne fut traduit en français pour la première fois qu’en 1977 par Etienne Perrot, dans une édition privée et confidentielle. Ce livre-clef, même en laissant subsister de nombreuses interrogations, eut le mérite immense d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherches.

 

 

Les coïncidences significatives. La synchronicité

Le terme de coïncidence en tant que simultanéité de deux événements était considéré par Littré comme une acception du langage ordinaire, car il s’appliquait initialement à la superposition de deux figures géométriques. Mais une coïncidence ne sera dite significative (ou signifiante) que si le mental de l’observateur se trouve impliqué. Cette condition psychologique essentielle fait le partage avec les coïncidences ordinaires dans lesquelles l’observateur ne joue qu’un rôle de témoin extérieur, plus ou moins étranger à ce qui se passe.

Pour bien comprendre ce que l’on entend par ce terme de coïncidence significative il faut se reporter à la description princeps qu’en donne Jung, et que nous livrons ici dans la traduction d’Etienne Perrot :

« Une jeune patiente eut à un moment décisif du traitement un rêve dans lequel elle recevait en cadeau un scarabée doré. Pendant qu’elle me rapportait le rêve, j’étais assis le dos à la fenêtre fermée. Tout à coup j’entendis derrière moi un bruit, comme si l’on frappait légèrement à la fenêtre. Je me retournais et vis qu’un insecte, en volant, heurtait la fenêtre à l’extérieur. J’ouvris la fenêtre et capturai l’insecte au vol. Il offrait la plus étroite analogie que l’on puisse trouver à notre latitude avec le scarabée doré. C’était un hanneton scarabéide, Cetonia aurata, « le hanneton des rosiers commun », qui s’était manifestement amené, contre toutes ses habitudes, à pénétrer dans une pièce obscure juste à ce moment. Je dois dire tout de suite qu’un tel cas ne s’est jamais produit pour moi, ni avant ni après, de même que le rêve de ma patiente est demeuré unique dans mon expérience. »

La synchronicité – néologisme jungien -, consiste donc dans la correspondance d’un état intérieur à la psyché avec un événement extérieur se produisant en même temps. Les coïncidences qui en relèvent n’ont aucun rapport de causalité, elles ne sont reliées de façon signifiant que par leur sens et leur simultanéité, de telle manière que leur rencontre « fortuite » constitue une invraisemblance devant être exprimée statistiquement par un chiffre énorme. Jung pensait qu’à la base de ce genre de phénomènes se trouvait « un principe par lequel il soit possible de les expliquer » et qu’il assimilait à l’inconscient collectif équivalent de spiritus mundi des alchimistes qui constitue l’Ame du monde en pénétrant toutes les choses et en les reliant entre elles pour faire du monde une seule et unique machine.

Les coïncidences significatives supposent en tout cas une communication entre l’esprit humain et autre chose, situé sur un autre plan. On peut donner à cet autre chose le nom que l’on veut, cela ne modifie pas l’existence d’un rapport existant entre ces deux plans. La synchronicité poserait encore le problème de la relation du psychique avec le physique, du transcendant avec l’immanent, du visible avec l’invisible, et de l’âme avec le monde.

Impliquant notre moi profond et les événements, petits et grands, qui jalonnent notre vie privée, les coïncidences dites significatives sont relativement rares et en général très personnelles, s’accrochant la plupart du temps à des détails en apparence anodins, ou triviaux, ou en tout cas paraissant insignifiants, Leur récit – comme celui des rêves des autres – peut avoir quelque chose d’ennuyeux en raison de leur caractère généralement intime et personnel, aussi ne citerai-je que deux exemples tirés de mes Cahiers personnels, en modifiant seulement pour le deuxième l’orthographe des noms propres pour des raisons de discrétion :

 

- Premier cas, au 29 octobre 1981 il est noté : « coïncidence significative ( ?) aujourd’hui :

Je recherche la « Ballade du roi de Thulé », que j’avais jadis apprise par cœur dans un exemplaire du Faust de Goethe de la collection bilingue Aubier qui me servait de méthode Assimil améliorée, n’ayant pas appris l’allemand pendant ma scolarité. Mon fils Charles, dix ans, non loin de moi, ouvre son album Je parle allemand avec Babar et me demande : « Comment dit-on un bouquet en allemand ? » Et à ce moment précis j’avais sous les yeux la page 106 où j’avais dessiné, il y a longtemps, dans la marge un bouquet surmonté de ces mots Einen Strauss, en face de la réplique de Faust :Was soll das ? Einen Strauss ? (Pourquoi cela ? Un bouquet ?)

Coïncidence d’autant plus troublante que je ne dessine en principe jamais dans les marges de mes livres. Et Charles n’avait aucune connaissance de l’existence de ce livre, ni de ce dessin.

Me demandant alors quelle pouvait être la signification me venant à l’esprit étant celle d’une fête particulière. Le saint du jour est Narcisse. »

 

- Deuxième cas, au 20 mai 1983, il est noté : « Etranges coïncidences : Réunion hebdomadaire du service de chirurgie orthopédique de l’hôpital B. au cours de laquelle sont discutés les dossiers des patients que l’on doit opérer la semaine suivante.

En arrivant dans l’antichambre de la salle de la réunion, j’aperçois un homme assis qui ressemble à s’y méprendre à Guillemin, un chirurgien qui m’avait accueilli à mon arrivée dans le service d’orthopédie de l’hôpital A. où j’avais été invité à donner une conférence quelques jours auparavant. Mais je me dis que ce n’est probablement pas lui, car il m’aurait reconnu, et se serait manifesté à mon attention ; je pense qu’il doit plutôt s’agir d’un patient attendant d’être présenté au « staff », comme nous disons dans notre jargon médical.

Quelques instants plus tard effectivement, on fait entrer ce patient dans la salle de réunion pour exposer son cas et, coïncidence extraordinaire, il s’appelle Guillemin ! Son prénom est Jean-Pierre et n’a par ailleurs aucune relation avec mon collègue dont le prénom est Jean-Louis, ce que je vérifiai plus tard.

Tout de suite après, on discute le cas d’un autre patient qui s’appelle Christian Marin, homonyme de Christian Marin, un chef de clinique du service, ce qui naturellement ne manque pas de faire sourire l’assistance. Cette double coïncidence du nom d’un malade avec celui d’un chirurgien me parut très surprenante quand l’interne qui présentait le dossier nous apprend que ce Christian Marin avait déjà été opéré à l’hôpital A. par Guillemin ! »

[…]

 

 

Symbolisme des coïncidences. La croix

L’idée de coïncidence contient un double sens de rencontre et d’accord : comme si deux éléments sur des trajectoires différentes se rencontraient et se confondaient en un point donnant naissance à cette fugitive sensation d’harmonie entre deux ordres de choses distincts.

Il s’agit d’un croisement, et quel meilleur symbole que la croix pourrait le figurer ? A l’intersection de ses deux branches, en son centre, se situe le point de conjonction – de coïncidence – où se fondent et s’annihilent toutes les influences, le point précis qui fait communiquer deux états différents et permet le passage de l’un à l’autre. L’omphalos.

Formée de deux barres de directions différentes – symbole de dualité -, la croix peut symboliser la coïncidence des opposés […].

La barre verticale de la croix représente encore le principe actif, mâle, traversant la barre horizontale, principe passif, féminin. On peut y voir la stylisation des rayons solaires verticaux venant frapper la surface horizontale de la terre pour donner naissance à la Vie. La croix symbolise un processus de fécondation, et donc de vie. Elle est sans doute le plus simple et le plus riche de tous les symboles.

La croix grecque aux branches égales engendre le cercle aussi bien que le carré, s’inscrivant parfaitement en chacun des deux. Or le cercle c’est le Ciel et le carré, la Terre. La croix est ainsi ce qui réunit le Ciel à la Terre, la transcendance avec l’immanence. Elle est La Voie, et c’est avec raison qu’elle est devenue le symbole du Christianisme qui enseigne fondamentalement comment aller au Ciel, le Christ ayant lui-même proclamé qui était la Voie (Jean 14, 6). La voie du Christ, c’est la via crucis, la voie de la croix, le Tao de l’Occident, Tao signifiant voie ou chemin. La croix en tant qu’instrument de supplice et de souffrance rappelle encore que la voie du Christ c’est essentiellement le don de soi, total, jusqu’au sacrifice suprême que l’Eglise célèbre depuis environ le XVème siècle dans le Chemin de croix.

En Chine la croix grecque correspond au caractère Shi (  +  ) qui signifie dix et qui a en plus un sens de perfection, de totalité et d’ordre universel, rejoignant en cela le symbolisme de la Décade pythagoricienne, somme des quatre premiers nombres constituant la Tétraktys. Et pour gagner le Ciel ne convient-il pas d’être parfait – à l’image de Dieu le Père (Mat. 5, 48) ?

Le signe mathématique moins est figuré par une barre horizontale (-), mais en y ajoutant une barre verticale on obtient le signe plus (+). La croix se confond ainsi avec le positif – c’est-à-dire le rationnel, le certain – devenu synonyme dans notre langage courant de bien.

La croix apparaît enfin comme un symbole d’ordre, d’exactitude et d’exigence. Elle détermine le plan des carré des villes romaines. Elle divise l’espace et le temps, et se retrouve dans les axes des coordonnées cartésiennes. Elle figure dans les viseurs des armes à feu, son rôle étant justement de faire coïncider la trajectoire de la balle avec la cible sur laquelle elle se superpose avec précision.

 

 

Signification des coïncidences. Sainte Chronicité

Face au phénomène des coïncidences dites significatives, deux familles d’esprits s’opposent : ceux qui pensent qu’étant le fruit d’un pur hasard elles n’ont strictement aucune signification et ceux qui les voient porteuses d’un sens, voire d’un message émanant d’un autre plan au-delà de la réalité sensible. Elles n/ont certes pas toutes une importance telle qu’elles puissent changer le cours de nos vies, mais elles en ponctuent le cours de loin en loin comme autant de signes, de marques d’attention dont le sens profond semble aller vers l’approbation, l’acquiescement, la bienveillance évoquant ces mains anonymes et fugitives que l’on voit s’agiter furtivement quand on croise un bateau, témoignages de lointaine affection, et auxquelles nous répondons de la même façon. Elles seraient en quelque sorte le sourire de l’Invisible, même si parfois il semble quelque peu inquiétant.

Naissant de la résonance d’un état psychique avec un événement extérieur, ces coïncidences dites significatives jouent le rôle de révélateurs naturels, spontanés, susceptibles d’induire un état d’éveil, ce qui leur confère un statut de message, de don, pour ne pas dire de grâce. Mais leur interprétation précise se révèle parfois difficile – à l’image de celle des rêves. A chacun d’en trouver la clef, en conformité avec sa propre vie. […]

Etienne Perrot […] voyait dans les coïncidences significatives, à la suite de son père spirituel C.G. Jung, des messages de l’Inconscient, ou des Forces qui le parcourent, dignes d’attention et dont il importait de tenir compte au même titre que les rêves […]. Il était revenu de douloureuses épreuves intérieures mais la poésie et l’humour faisaient chez lui bon ménage avec la spiritualité. Il eut ainsi un jour l’intuition que tous ces phénomènes synchronistiques pourraient émaner d’une entité qu’il baptisa, en souriant, sainte Chronicité, à la suite de ces acrobaties ornithophilologiques qu’il affectionnait, comme tous les enfants d’Hermès, donnant ainsi un visage humain au phénomène Jungien, abstrait et impersonnel, de la synchronicité. Ce patronyme de caractère sacré contenait à ses yeux une idée de temps, de couronne, et de cité. Mais surtout Sainte Chronicité, « mère de la gaie Science », venait se confondre avec l’Ame du monde, « l’Intelligence rectrice de l’Univers », la Sagesse biblique et la Vierge-Mère. « C’est Mère Alchimie qui modèle le chaos et l’illumine du sens divin. »

[…]

L’homme est finalement libre d’interpréter à sa guise ces phénomènes spontanés qui jaillissent en marge du cours de sa vie et qui relèvent de l’expérience intérieure, intime, ineffable, comme l’expérience mystique, amoureuse ou esthétique. Il peut les ignorer, les rejeter, n’en tenir aucun compte et vivre par ailleurs une vie en apparence parfaitement heureuse. Il peut au contraire, s’il se sent appelé – et s’il a le goût du risque -, y voir des signes du Ciel, de l’Invisible – ou de sainte Chronicité -, et se laisser guider par eux, en se livrant à ce que l’on appelait jadis l’abandon à la Sainte Providence, et qui semblait l’attitude la plus sage que l’on puisse adopter puisqu’elle était préconisée par les mystiques et les saints de l’Orient à l’Occident. »

 

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Synchronicité.zip (23 kb) - 16 décembre 2001