L'église de
Saint-GRÉGOIRE-DU-VIÈVRE
I De la raison pour laquelle on commence un rébus par un cheval
Le cheval est un animal hors du commun à cause de sa signification symbolique et aussi de par son rapport avec l'homme. Il est la monture, le véhicule, et son destin est donc inséparable de celui du cavalier. C'est d'ailleurs une des raisons qui font que notre cheval est représenté avec une selle.
Or coursier et cavalier sont intimement unis en
ce sens que le cheval instruit l'homme, c'est-à-dire que l'intuition
éclaire la raison. C'est pourquoi le cheval est le symbole du
passage entre deux mondes, celui d'ici-bas et l'au-delà.
« le latin caballus et le grec caballhz signifient tous deux cheval de
somme; or, notre cabale soutient réellement le poids considérable,
la somme des connaissances antiques de la chevalerie ou cabalerie
médiévale, lourd bagage de vérités ésotériques transmis par elle à
tous les âges. Cet extrait a servi surtout
à nous convaincre qu'en frontispice du rébus, son auteur a donné comme clef
un cheval pour expliquer au pèlerin qu'il ne faut pas appréhender
superficiellement les images mais les lire en profondeur. Le chevalier initié donc, le pèlerin, dans sa quête spirituelle, sa quête du Graal, doit utiliser comme véhicule, comme monture, la cabale pour comprendre le rébus. Il doit lire le texte dans un sens différent.
II S'il fallait une preuve de plus pour montrer que le cheval et le cavalier ne font pas partie du rébus mais forment bien une clef, il suffirait d'observer leur position relative par rapport à la suite du rébus: ils sont tous deux situés au-dessous de la ligne de pierres taillées sur lesquelles sont insérées les différentes phrases du rébus. Cette remarque pourra être faite plus tard pour la fleur de lys et la croix noire. Le véritable rébus commence donc à partir de maintenant.
Nous n'émettrons aucun doute sur le « cor
rompu » en langage des oiseaux. Mais il est important d'approfondir
le symbole du globe surmonté d'une croix. « les Anciens ont dépeint symboliquement leur Matière en son premier être sous la figure du Monde, qui contenait en soi les matériaux de notre globe hermétique, ou microcosme, assemblés sans ordre, sans forme, sans rythme ni mesure. » Notre globe, ce petit monde, reflet et miroir du macrocosme, n'est donc qu'une parcelle du chaos primordial, [...] qu'une suite de circonstances mystérieuses a orienté et dirigé vers le règne minéral. » 1 Le concept de l'athanor, creuset des alchimistes, va nous aider à affiner le symbole: « Symbole du creuset des transformations physiques, morales ou mystiques, l'athanor des alchimistes est une matrice en forme d'œuf comme le monde lui-même, qui est un œuf gigantesque. »2 « En tant que figure de symétrie par excellence, la sphère est un symbole d'ambivalence, souvent associé à l'androgyne originel, contenant les deux principes opposés. »3 Ces deux principes opposés sont constamment représentés par les carrés noirs et blancs des damiers. Ainsi, puisque la matière à l'origine, la Matera Prima, est corrompue dans l'athanor, il y a manifestation des contraires: le damier de 4 X 4=16. D'ailleurs, « le damier, ensemble de figures géométriques de couleurs alternées blanc et
noir, symbolise les forces contraires qui s'opposent jusque dans la
constitution même de l'univers. »4 La formation en
carrés est le signe de la bataille qui commence. Le conflit qu'il exprime
peut-être celui de la raison contre l'instinct, de l'ordre contre le
hasard.
III Il faut maintenant se servir de la notion du 8, qui prépare au damier de 4 par 2 qui suit, exacte moitié du damier de 16.
Ce damier de huit rappelle la forme du "huit"
entre le C et le R.
IIII « Serait-il donc impossible à l'artiste qu'il séparât, dans son petit monde, à l'aide du feu secret et de l'esprit universel, les parties cristallines, lumineuses et pures, des parties denses, ténébreuses et grossières? » Eugène Canseliet Le mystère des Cathédrales
Nous sommes donc entrés dans l'Art Royal de l'alchimie, comme nous l'indique maintenant la fleur de
lys, seule et
excentrée sur un pilier, telle une clef pour ouvrir la porte au Grand
Œuvre.
Il apparaît ensuite un damier de 5x4= 20 éléments.
C'est l'homme matériel car s'étendant dans les 4 directions de la
croix. Son but est de réintégrer le centre de la croix, point
d'intersection des deux axes terrestres. C'est la matière prête
à être cuite (C8). « La matière préparée, n'est qu'une terre fécondée où règne encore quelque confusion; cette terre, il nous faut la mortifier et la décomposer, ce qui revient à séparer le feu de la terre, le subtil de l'épais. »5
Nous voici face à deux concept opposés: le subtil et
l'épais.
Or dans la Bible, 21 est le chiffre de la perfection
par excellence (3x7). C'est celui des 21 attributs de la Sagesse. « La séparation alchimique est diamétralement contraire à la dissociation des éléments et, plus encore, à leur désintégration qui annihilerait tout espoir qu'ils se réunissent désormais, pour une vie nouvelle et plus glorieuse. Cette opération initiale du Grand Œuvre, en parfait accord avec le premier chapitre de la Genèse, prélude à la création du philosophe, à partir du chaos minéral et microcosmique, au sein duquel les éléments sont confondus. »6 C'est bien ce qui est exprimé car la séparation du damier en 21 et 10 ne montre pas de séparation visuelle des contraires, mais un changement total de signification: une refonte symbolique.
V
Quelques réflexions sur le concept de Centre et d'Axe du Monde et leurs rapports avec le rébus de l'église de Saint-Grégoire-du-Vièvre.
Dans l'alchimie comme dans
ce qui concerne plus généralement toute initiation, on retrouve
les deux concepts de petits et grands mystères (ou Magistères).
Ces concepts sont intéressants à plus d'un titre car ils permettent de
synthétiser les nombreuses étapes de l'évolution
spirituelle
d'un
être.
Voilà le Signe que nos églises sont des centres spirituels et que les auteurs de ces graffitis sont des initiés.
VI « Il est facile de reconnaître ici la première phase du second œuvre, [...] c'est le début, actif et doux, du feu de roue
Fulcanelli Dans la troisième partie du rébus apparaît un nouveau signe: le triangle.
Nous avons là 6 triangles blancs et 2 carrés blancs.
Cette dissymétrie est fondamentale. Elle marque la différence au niveau
de la lecture hermétique.
Le nombre 6 est une source d'ambivalences: il réunit
en effet deux complexes d'activité ternaire (3x2). Il peut pencher vers
le bien, mais aussi vers le mal, vers l'union à Dieu, mais aussi vers la
révolte (il est le nombre des dons réciproques et des antagonismes,
celui du destin mystique). Bref, le nombre 6 est celui de l'épreuve entre
le bien et le mal.
« Si la chaleur naît du mouvement, comme on le
prétend, qui donc demanderons nous, génère et entretient le mouvement,
producteur du feu, sinon le feu lui-même? Or il s'agit de la description que nous avons donnée du centre de la Roue de Fortune, ce centre du monde par lequel passe l'Axis Mundi, s'élevant vers le divin. « Or, la qualité spirituelle du feu ne nous est-elle pas révélée dans la flamme? Pourquoi celle-ci tend-elle sans cesse à s'élever comme un véritable esprit? » 10 Nous nous permettrons de rappeler ici la figure de l'alchimiste Basile Valentin (1613) comme un résumé de l'étape de l'œuvre:
« Il est facile de reconnaître ici la première phase du second Œuvre, alors que le Rebis hermétique [de RES BIS, double chose], enfermé au centre de l'Athanor, souffre la dislocation de ses parties et tend à se mortifier, c'est le début, actif et doux, du feu de roue. »11
VII
Le damier suivant est très obscur quant à sa
signification: nous avons toujours des triangles supportant des carrés
mais les triangles, au nombre de 4, sont désordonnés et les carrés sont
au nombre de 5 (et non pas 11 car on ne considère plus les carrés noirs
désormais, ils servent uniquement de fond).
« Il exprime dans la cuisson du Rebis philosophal
la première apparence de la décomposition consécutive à la mictions parfaite des matières de l'Œuf. »13
C'est l'élimination de toutes les impuretés, de tous
ces carrés noirs!
Quant à nos quatre feux, ils apparaissent comme le
signe de la potentialité, attendant que s'opère la manifestation (la
fixation), qui vient avec le 5.
Enfin, 5 carrés blancs + 6 carrés noirs = 11, symbole
de la lutte intérieure, qui tire son symbolisme de la conjonction
des nombres 5 et 6, qui sont le microcosme et le macrocosme, ou le Ciel et
la Terre.
VIII « Le résultat des deux Magistères, petit et grand: Médecine blanche et Pierre rouge, dont la fleur de lys consacre la vérité absolue. » Fulcanelli Cette lutte intérieure que nous avons voulu mettre en valeur par le chiffre 11 est symbolisée par les duels entre animaux.
Certains ont cru affirmer qu'il s'agissait de chevaux.14
Nous nous voyons obligés de réfuter cet argument à cause de la queue spiralée
du premier animal. On dirait plutôt un chien ou un loup. « Ce rouge n'est licitement visible qu'au cours de la mort initiatique. »15
Plus significatif encore:
pour les alchimistes et les philosophes, le chien dévoré par le loup
représente la purification de l'or par l'antimoine, avant-dernière
étape du grand œuvre. « Une légende raconte que la sainte blanchissait le linge de la célèbre abbaye, où un âne la transportait. Un jour le loup étrangla l'âne. Sainte-Austreberthe condamna le coupable à faire le service de sa victime, et le loup s'en acquitta à merveille jusqu'à sa mort. »17
Pourquoi la couleur verte? La légende ne le dit pas
mais alchimiquement « le loup devint vert en étranglant et en
dévorant l'âne. »18
IX
« C'est le combat des deux natures, les matériaux secrets dont la destruction réciproque ouvre la première porte de l'Œuvre. Ces corps sont les deux dragons de Nicolas Flamel » Fulcanelli
Mais revenons à notre combat. D'un point de vue
intérieur, la création progresse, symboliquement, dans chaque conflit
dépassé.
Cette barre blanche, débarrassée des impuretés
après l'étape Noire, est horizontale: c'est la position du rampant, de
celui qui n'est pas élevé spirituellement.
Un ensemble de trois barres verticales blanches (sept
barres au total), signes de l'ascension vers Dieu: c'est l'avènement de
l'homme ou du grand œuvre.
X « Disons, au préalable, que le terme de pierre philosophale signifie, d'après la langue sacrée, pierre qui porte le signe du soleil.» Fulcanelli Quel est le résultat de l'œuvre au rouge?
Le Christ ( la croix) ressuscité (blanche).
XI « On pourrait, dans ce cas, obtenir de l'or ou de l'argent, voire même un métal inconnu, et rien de plus. C'est là ce qu'ont toujours fait les alchimistes, parce qu'ils ignoraient l'universalité et l'essence de l'agent qu'ils recherchaient. » Fulcanelli
Il reste deux images à notre rébus, et il ne faudrait pas les oublier car s'arrêter à la croix blanche serait avoir œuvré si longtemps pour bien peu de résultats...
Voici donc un enchevêtrement de 5 pierres blanches et
6 pierres noires formant des lignes obliques. « Couleur de la tempérance, fait d'une égale proportion de rouge et de bleu, de lucidité et d'action réfléchie, d'équilibre entre le ciel et la terre, les sens et l'esprit, la passion et l'intelligence, l'amour et la sagesse. » 19
L'arcane XIV du tarot, nommé la Tempérance,
représente un ange qui tient dans ses deux mains deux vases, l'un rouge,
l'autre bleu, entre lesquels s'échange un fluide incolore, l'eau vitale.
Le bleu est la plus profonde et la plus immatérielle
des couleurs. Couleur mariale comme le blanc, il exprime le détachement
des valeurs de ce monde et l'envoi de l'âme libérée vers Dieu.
FIN |
Document téléchargeable au format PDF compressé
(Cliquer avec le bouton droit de la souris pour sauvegarder le fichier sur votre disque)
gregoire2.zip (247 kb) - 20 octobre 2001
Notes 1 - Fulcanelli, Les Demeures Philosophales, t. II, p. 274, Ed. Pauvert, 1979. 2 - J-P Bollen, Promenade dans le Vièvre normand, p. 87, chez l'auteur. 3 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 267. 4 - Les Demeures Philosophales, t. I, p. 242. 5 - Chevalier et Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Robert Laffont, 1982. 6 - Idem. 7 - Dictionnaire des Symboles. 8 - Les Demeures Philosophales, t. I, p. 285. 9 - Les Demeures Philosophales, t. I, p. 55. 10 - Lire Le symbolisme de la Croix de René Guénon, Ed. Guy Trédaniel 11 - Idem. 12 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 213. 13 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 214. 14 - Le Mystère des Cathédrales, p. 128. 15 - Ce sont les imbibitions, sublimations, cohobations et digestions de la matières qui se font d'elles-mêmes sous le seul régime du feu. 16 - Le Mystère des Cathédrales, p. 101. 17 - J-P Bollen, Promenade dans le Vièvre normand. 18 - Dictionnaire des Symboles. 19 - Idem. 20 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 316. 21 - Les Demeures Philosophales, t. II, p. 316. 22 - Dictionnaire des Symboles. |